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Troubles psychiques, pénuries de main d'œuvre : les effets indirects de la crise sanitaire ont pesé sur la santé des salariés

Au-delà des expositions aux risques professionnels courants, des situations complexes ont mobilisé les professionnels de santé du service, en effets indirects de la crise sanitaire. Explications avec le Dr Patricia Neddam, médecin du travail et médecin coordonnateur d'AST Grand Lyon.

Dr Neddam, quels sont les faits marquants que vous retenez de cette année 2022, en termes d'activité médicale ?

Je note un impact sensible de certaines situations conjoncturelles sur notre activité de suivi des salariés. Par exemple, si l'épidémie de Covid-19 est sortie de sa phase aigüe avec des « vagues » moins virulentes en termes de gravité, les impacts de la crise sanitaire de 2020-2021 ont continué à se faire sentir sous d'autres formes moins visibles.
Nous constatons ainsi une augmentation des états dépressifs et anxieux. Une part de ces troubles psychiques est attribuable au stress provoqué par le sentiment de danger, les restrictions et les confinements successifs. Mais au-delà des évidences, il faut comprendre que la pandémie a considérablement bousculé les organisations de travail. Beaucoup de salariés ont dû gagner rapidement en polyvalence et augmenter leur charge de travail pour compenser des absences. Tout cela semble anachronique face aux nouvelles sources de tension que nous connaissons, mais les conséquences de ces adaptations sur la santé des personnes sont bien présentes et ne vont pas disparaître en un jour. D'ailleurs, certains salariés qui avaient été affectés au point d'être placés en arrêt de travail de longue durée, sont arrivés l'année dernière en fin de droit au versement d'indemnités journalières par l'Assurance Maladie. Ces salariés en situation difficile sont arrivés dans les cabinets de nos médecins du travail, qui ont dû se prononcer sur des aménagements de postes et parfois des inaptitudes.

Dans cette quantité de dossiers pris en charge, nous relevons une augmentation des sorties du travail avec une solution sociale. Il s'agit de salariés pour lesquels nous n'avons pas pu éviter le licenciement pour inaptitude, mais qui vont pouvoir bénéficier, selon les cas, d'une retraite anticipée pour inaptitude, d'une mise en invalidité ou d'un départ en retraite dans le cadre du dispositif « carrières longues ».

Vous avez évoqué de nouvelles sources de tension dans les entreprises. A quoi faites-vous référence ?

Aux importantes difficultés de recrutement qui fragilisent certains secteurs d'activité. Elles peuvent être vues, là encore, comme des dommages collatéraux de la pandémie qui a amené des remises en question professionnelles, voire des détournements de vocations par rapport à des métiers jugés difficiles. Dans ces secteurs en tension - on pense à l'hôtellerie-restauration mais il y en a d'autres - les situations deviennent critiques. Le manque de personnel appelle inévitablement une obligation de productivité et une élévation de la charge de travail des salariés en poste, qui s'usent logiquement plus vite. A cela s'ajoute le constat que des aménagements de postes acceptables auparavant, le deviennent de moins en moins pour les employeurs. Par exemple, j'ai été amenée à prescrire des aménagements et des restrictions d'aptitudes pour des femmes de chambre dans un hôtel. J'ai pu mesurer l'inquiétude de l'employeur quant au maintien de son activité avec des salariées en mi-temps thérapeutique, alors qu'il n'arrive déjà plus à recruter.

Quelles orientations suivre face à cela ?

Il faut poursuivre dans l'idée qu'il est possible de maintenir en emploi des personnes qui ont des problèmes de santé, sans passer forcément par une diminution de leur temps de travail. Cela revient à rechercher des solutions anticipées, en s'intéressant vraiment au contenu du travail. Si je reprends l'exemple des femmes de chambre, à quel moment faut-il plutôt s'interroger sur la taille et le poids des sacs de linge ou des poubelles, ou encore sur la nécessité d'avoir un local de réserve à chaque étage ? Je décèle qu'il y a une prise de conscience de la part de certains employeurs sur le fait qu'il faut penser différemment : nous sollicitons ainsi de plus en plus nos équipes de prévention pour réaliser des évaluations des risques et apporter des préconisations en entreprises afin d'éviter la survenue de problèmes de santé. C'est un signe que les choses évoluent et c'est d'autant plus important dans la perspective d'un allongement de la vie professionnelle.